Ultime volonté -

Publié le par Carole Gouyé

Au revoir et bonne chance !

par Gillian Bennett

« Je vais me tuer aujourd’hui vers midi. Il est temps. La démence poursuit ses dégâts et je me suis presque perdue. J’ai presque perdu “moi”. Jonathan, le plus droit et le plus intelligent des hommes, sera à mes côtés comme un témoin aimant.

Je sais que je suis atteinte de démence, une perte progressive de mémoire et de jugement, depuis trois ans. C’est une maladie furtive, entêtée et oh combien fiable. J’aurais préféré une affection exotique dont le nom trébucherait sur la langue, mais non, ce que j’ai est tout à fait typique. Je trouve que c’est une maladie ennuyante et malgré la gentillesse et la politesse de ma famille, je suis assez intelligente pour comprendre qu’ils trouvent ça ennuyant aussi. C’est tellement difficile pour mon mari, Jonathan. Je ne pense pas que ma jolie chatte a remarqué, mais je ne suis pas certaine.

La démence ne fait pas de quartier et ne laisse place à aucune négociation. Les recherches nous disent que c’est une “maladie silencieuse”, une maladie qui peut se terrer pendant des années ou même des décennies avant que ses symptômes ne deviennent évidents. Je trouve ça difficile de me rappeler que ma petite-fille vient dans trois jours et pas aujourd’hui. “Où mettons-nous le X?” (Café/machine à milkshake/la touche espace sur mon clavier/le livre que je suis en train de lire) survient tout le temps. Je dois toujours surveiller ce que je dis pour tenter de ne pas faire de grosse erreur de jugement.

Vient un moment, dans le cours de la démence, où l’on ne peut plus gérer ses propres affaires. Je veux partir avant le jour où je ne pourrai plus évaluer ma situation, ou agir pour finir ma vie. Il viendra peut-être aussi un moment où je devrai tout simplement prendre une décision basée sur ma santé physique qui se détériore. Je n’aime pas les hôpitaux — ce sont des endroits sales. Tout médecin vous dira d’en rester loin si vous le pouvez. Je ne veux pas qu’une chute, une attaque ou toute autre complication imprévue vienne perturber ma décision de coûter le moins cher possible au Canada durant mes années de déclin.

Chacun d’entre nous est né unique et meurt unique. Je pense à la mort comme à une aventure finale avec une fin abrupte prévisible. Je sais quand c’est le temps de partir et je ne trouve pas ça effrayant.

Nous obsédons à propos de tant de choses. Nous semblons avoir besoin de faire les choses comme il faut. Devrait-on apporter une bouteille de vin ou des fleurs au party ? Est-ce que des jeans et des bottes, ça ira ou est-ce que c’est trop relaxe ? Comment je fais pour trouver un nouveau compagnon ?

On ne parle PAS beaucoup de la façon dont on meurt. Pourtant, faire face à la mort est complètement intéressant, absorbant et stimulant. J’ai fait le tour de mes choix, j’en ai choisi, j’en ai rejeté. Je crois que j’ai trouvé le bon choix pour moi.

J’en ai parlé avec mes amis et ma famille. Ce n’est pas un sujet interdit. Loin de là.

Chaque jour, je perds un peu de moi-même et il est évident que je me dirige vers l’état que tous les patients souffrant de démence atteignent : ne pas savoir qui je suis et avoir besoin de soins constants. Je sais alors que j’écris ces mots que d’ici six, neuf ou douze mois, moi, Gillian, je ne serai plus ici. Qu’est-ce qu’on fera de ma carcasse ? Elle sera vivante physiquement, mais il n’y aura plus personne à l’intérieur.

J’ai fait mes devoirs. J’ai examiné mes options :

1. Avoir quelqu’un qui s’occupe de mon corps vide d’esprit. Ce qui veut dire des difficultés financières pour ceux que je laisse derrière, ou encore un tourbillon incessant de corvées qui pourraient éroder jusqu’à leurs meilleurs souvenirs de moi.

2. Demander n’importe quel soin que le gouvernement est prêt à offrir. (L’endroit s’attendra à ce que mon mari, mes enfants et mes petits-enfants me visitent souvent pour remercier ceux qui s’occupent si bien de ma carcasse. C’est juste, mais ce n’est pas ce que je souhaite à ma famille. )

3. Finir ma propre vie en avalant des barbituriques qui feront le travail avant que ma tête soit toute partie. Éthiquement, ça me semble la bonne chose à faire.

Je peux vivre ou végéter pendant peut-être dix ans dans un hôpital aux frais du Canada, pour un coût annuel de 50 000 $ à 75 000 $. Ce n’est que le début des dommages. Les infirmières, qui pensaient se lancer dans une carrière qui aurait un sens, se retrouvent à perpétuellement changer mes couches et à rapporter mes changements physiques, ou une coquille vide. C’est ridicule, inutile et injuste.

Ma famille, tous des gens rationnels, ne me visiterait pas à l’hôpital, parce qu’elle sait que je ne le voudrais pas.

Le monde est mis à dure épreuve sous le poids d’une population vieillissante. Nous vivons plus longtemps, et notre espérance de vie s’allonge de plus en plus. En 2045, le ratio des citoyens en âge de travailler et des personnes âgées deviendra de plus en plus lourd dans presque toutes les régions du monde. Au Canada et aux États-Unis, on s’attend à ce que le ratio soit de 16 travailleurs pour dix personnes âgées. C’est un désastre social et économique en devenir.

Pourtant la plupart des gens disent qu’ils veulent vivre jusqu’à 90 ou 100 ans, et même au-delà.

Il y a plusieurs problèmes d’éthique ici : la prolongation de la vie altère les idées des gens sur ce qu’est être humain — et pas pour le mieux. Tandis que nous, les vieux, subissons de nombreuses opérations et devenons gaga tout en occupant un lit d’hôpital, l’éducation de nos enfants, leurs opportunités éducatives, athlétiques et culturelles sont comprimées.

Le coeur du problème est arithmétique. L’État d’assistance sociale qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, créé à un moment où la génération des baby-boomers était en gestation, est basé sur un schéma générationnel à la Ponzi. Alors que la durée de vie allonge et que le taux de natalité décline, la pyramide de la population s’inverse — et dans certains pays, cela fait que toute l’économie bascule.

Chaque personne vers l’âge de 50 ans et qui est mentalement compétente devrait faire un Testament de vie dans lequel serait écrit comment elle veut mourir, les circonstances sous lesquelles elle ne veut pas être ressuscitée, etc. Avec l’ajout d’une déclaration telle que : “Si je suis malade et faible et que j’ai une infection comme une pneumonie, n’essayez pas de me ramener à la vie avec des antibiotiques. Svp, laissez-moi aller. Je ne donne à aucune personne de ma famille, ou docteur ou psychiatre, le droit d’annuler cette décision”. Le médecin de famille devrait en avoir une copie.

Légalement, tout le monde devrait être obligé à faire un tel Testament, qui serait conservé électroniquement, ne pourrait pas être détruit et serait immédiatement disponible pour tout hôpital dans le monde.

Et si une personne refusait de faire un tel testament ? Il devrait y avoir un testament par défaut qui s’appliquerait à chaque personne qui n’aurait pas rempli son devoir de citoyen. Je n’ai pas toutes les réponses, mais je crois que je soulève des questions qui doivent l’être.

Il y a trois immenses institutions : la profession médicale, la loi et l’église, qui défieront et combattront tout changement. Pourtant nous entendons tous parler de changements dans chacune des ces professions qui suggèrent une approche plus large, guidée et instruite par l’empathie. Mon espoir est que toutes ces institutions continueront à se transformer et que la profession médicale aura pour mandat, grâce à des protocoles sensibles et appropriés, d’administrer une dose létale pour terminer les souffrances d’un patient en phase terminale, en accord avec son Testament vivant.

La vie semble un peu comme une fête dans laquelle j’ai été plongée. Au début, j’étais timide et maladroite et je ne sais pas ce qu’étaient les règles. J’avais peur de faire la mauvaise chose. Il s’est avéré que j’étais là pour avoir du plaisir et je ne savais pas comment. Quelqu’un de gentil m’a parlé et m’a fait rire. J’ai commencé à comprendre qu’en fait je devais faire mes propres lois et vivre selon elles.

J’ai compris que je devais savoir quand partir et c’est maintenant.

Tous les membres de ma famille immédiate sont à Vancouver: fille, fils, deux petites-filles et quatre petits-fils. Tous savent que ce qui m’importe c’est de ne pas devenir un poids pour eux, ou pour le Canada. J’ai discuté de ma situation avec eux. Dans notre famille, il est établi que tout adulte a le droit de prendre sa propre décision.

Juste au cas où quelqu’un serait tenté de croire que je suis brave de me tuer, vous devez savoir que j’ai peur d’être seule dans l’obscurité. J’ai peur que quelque chose m’attaque. Je ne veux pas mourir seule. Si ma chatte défaillait de la manière dont je le fais, je mélangerais des somnifères dans du boeuf de première qualité et quand elle serait endormie, je la transporterais amoureusement au jardin où je ferais le reste. Qui veut mourir entouré d’étrangers, peu importe l’excellence de leurs soins et de leurs compétences ?

J’ai eu un mari incomparable, et des enfants et des petits-enfants qui m’ont dépassée sur bien des plans. Depuis que j’ai sept ans, j’ai des amis merveilleux, que j’ai adorés et que j’adore encore.

C’est beaucoup plus difficile qu’il n’est nécessaire pour Jonathan et j’aurais aimé qu’il n’ait pas à être seul avec le cadavre de sa femme. Les lois canadiennes font un criminel de quiconque aide une personne à se suicider, et Jonathan par conséquent ne pourra pas m’aider. Nos enfants, Sara et Guy, voudraient bien être avec leur père, mais les lois étant ce qu’elles sont, nous ne voulons pas les mettre en danger.

Aujourd’hui, maintenant, je vais de bon coeur et avec reconnaissance vers cette bonne nuit. Jonathan, le courageux, le fidèle, l’authentique et le gentil, m’entoure de sa présence. Je n’ai pas besoin de plus.

Il est presque midi. »

Et moi, je m’en vais suivre le conseil de Gillian. Je m’en vais préparer mon Testament de vie. Peut-être que si tout le monde faisait ça, sans attendre le go du gouvernement, la force du nombre deviendrait force de loi ?

Qu’en pensez-vous ?

Publié dans findevie, ultime liberté

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