Loi fin de vie : les patients sont méprisés au profit de l'hypocrisie - Par Daniel Carré, délégué national de l'ADMD

Publié le par Carole Gouyé

Loi fin de vie : les patients sont méprisés au profit de l'hypocrisie - Par Daniel Carré, délégué national de l'ADMD

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Le mercredi 18 janvier, la Commission des Affaires sociales a adopté la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, suggérant un droit à une "sédation profonde et continue" jusqu'à la mort. Pour Daniel Carré et Nathalie Gueirard-Debernardi, militants pour le droit de mourir dans la dignité, le législateur reste sourd à la volonté des Français.

L’adoption en Commission des Affaires sociales de la proposition de loi des députés Claeys et Leonetti ne ferme pas le débat. Jean-Louis Touraine a retiré son amendement sur l’aide active à mourir que soutenait la présidente de la Commission, Catherine Lemorton – un amendement qui sera retravaillé en vue du débat en séance.

Jeudi 19 février, une matinée de "débats" a eu lieu au Sénat pour soutenir le projet de loi d’Alain Claeys et Jean Leonetti. Une réunion où il n’y avait à la tribune que des soutiens à la proposition de projet de loi. Ces échanges convenus n’ont rien apporté à un texte dont la seule réelle nouveauté est l’affirmation des droits des malades sur les conditions de leur fin de vie. Droits que les propositions concrètes restreignent largement.

Pendant ce temps là, 1500 personnes meurent chaque jour en France. Selon les infirmières, seulement 35% d'entre eux interviennent dans des conditions "acceptables pour les proches", selon l'enquête MAHO.


500 personnes meurent quotidiennement abandonnées dans leur souffrance depuis plusieurs semaines, et plus de 20.000 attendent la mort sans personne pour prendre soin d’elles. Sauf dans les unités de soins palliatifs, où 1200 personnes sont prises en charge pour leur fin de vie, et où 30 y meurent chaque jour.

Les citoyens français ont très largement conscience de cette situation et ressentent un sentiment d’abandon. Les grands malades et les personnes de grand âge expriment leur désarroi à leurs proches qui souffrent de ne pouvoir les soulager.


Deux histoires aussi banales que dramatiques


Depuis maintenant deux ans et demi, les experts échangent des arguments. Le microcosme s’agite et rien ne bouge pour améliorer les parcours chaotiques des personnes en fin de vie. Or, qui n’a pas vécu dans sa propre famille une fin de vie difficile, parfois longue, toujours pathétique ?

 

Des cas surgissent en permanence dans leur banalité. Citons en deux :


Stéphane (39 ans) a écrit une lettre ouverte à Jean Leonetti pour que la loi autorise l’aide active à mourir. Il souffre d’une forme grave de syringomyélie qui le handicape lourdement. L’évolution est lente mais inéluctable. Son souhait serait de pouvoir dire stop sans être obligé d’aller en Suisse, ce qu’il envisage déjà.

Il n’est nullement suicidaire et il est chaleureusement accompagné par sa famille, qui a adapté son logement à ses capacités d’autonomie. Un changement de loi permettrait à Stéphane de trouver une issue lorsque ses souffrances seront insupportables et d’attendre sereinement les évolutions de sa maladie. Sans changement, il risque de finir comme Michel Debernardi.

 

Myriam n’a rien pu faire pour adoucir les derniers jours de sa grand-mère de 103 ans. Les circonstances ont conduit cette personne à un hébergement en Ehpad dans le sud de la France, très loin de ses racines alsaciennes. Son état s’est dégradé, elle a décidé alors de ne plus se nourrir, tout en acceptant de boire. Elle voulait dormir. Les soins devenaient douloureux et elle refusait tout médicament. Le médecin a écarté toute demande de sédation, n’acceptant par conviction personnelle que la mort "naturelle". La vieille dame est morte dans le conflit, soi-disant à cause de ses problèmes psychologiques, a osé déclarer une soignante. Sans compter le profond chagrin et la révolte de sa petite fille et les remords inconsolables de sa fille qui l’avait placée en Ehpad près de chez elle, sans en réaliser les conséquences.


Garantir le respect de la parole du patient


Le projet de loi contient des échappatoires qui ne sont pas acceptables. Lors du débat au Sénat, des médecins, soutenus par des juristes, dont Jean-Marc Sauvé, le vice-président du Conseil d’État, ont plaidé leur capacité et leur droit d’interprétation des directives anticipées opposables. Pour cette raison, six propositions d’amendements ont été élaborées par le CISS, le collectif des 40 plus importantes associations habilitées à représenter les usagers dans le système de santé.


Les directives anticipées sont à la fois :


  • - affirmation des valeurs du rédacteur ;

  • - refus anticipé au consentement de traitements jugés inacceptables ;

  • - demande de sédation profonde et continue


La prise en compte du refus ou du souhait dans le parcours de santé du rédacteur dépend du médecin. L’expression d’un choix personnel philosophique risque, dans l’ambiguïté, de devenir un choix médical. Fondamentalement, les directives anticipées ont pour finalité de choisir entre la qualité de vie ou la prolongation de celle-ci par tous les moyens, une prise de position qui n’a rien de médical.



Certes, des situations complexes existent, mais elles sont généralement identifiées avant la perte de capacité d’expression du malade. Le premier choix exprimé par anticipation est de ne pas être maintenu artificiellement en vie par une nutrition et une hydratation forcée.


La sédation profonde et prolongée, une hypocrisie


Le projet de loi met en avant la priorité absolue de la volonté du malade. La solution de la sédation et le refus de toute aide active à mourir ont été annoncés dès le départ comme non-négociable par Jean Leonetti : cette posture a perverti le débat. La duplicité du texte éclate quant à la décision de fin de vie. La seule demande possible devient la sédation profonde et prolongée jusqu’à la mort, essentiellement pour éviter au mourant les affres d’une agonie douloureuse.


La proposition de loi évacue toute demande de mort assistée dans une situation d’impasse insupportable, comme celle de Stéphane, comme celles du cancéreux métastasé auquel on ne propose au mieux que des "chimios de confort", de Britanny Maynard (29 ans) avec sa tumeur au cerveau, et de la personne de grand âge dont la vie n’est faite que contraintes insupportables pour elle-même.


Les conditions actuelles de fin de vie sont totalement nouvelles. Elles impliquent une transformation des conditions de prise en compte de la mort. Une minorité de cas veut être aidé à mourir. En Belgique, cela ne concerne que 2% des décès. Pour ces milliers de personnes susceptibles d'avoir recours à l'aide à mourir en France, leur volonté exprimée n’est ni écoutée, ni entendue.


Une aide compassionnelle


Ceux qui ne veulent pas de ce débat évoquent l’interdit du "tu ne tueras pas". Apporter une assistance compassionnelle pour aider à mourir à celui qui le demande de manière ferme, sereine et répétée, conduit à dépasser le tabou de "donner la mort". Les conditions de la prise en charge actuelle de la fin de vie par le système de santé et le système social masquent que la mort fait partie de la vie, ce qui implique de changer de paradigme.


Répondre aux demandes de mort choisie doit être considéré comme l’ultime soin. Il affirme la grandeur de l’homme qui rend son dernier souffle. Rien à voir avec un acte de violence : c’est une acte de compassion, dont on sait qu’il se passe dans la sérénité. Plus de 1500 médecins et personnels de santé ont cette conviction qu’ils expriment dans leur Manifeste pour la mort choisie, actuellement en cours de signature.


Espérons que le débat de mars à l’Assemblée nationale prenne en compte cette expression de la volonté des patients qui demandent de choisir le moment et la manière de leur mort, dans le respect des droits de l’homme inscrits dans la Constitution de notre République.

 

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